Une autre façon de décider

 

1. Une autre façon de décider

 

a. Quelques explications du discernement par la finalité professionnelle

Fonder ses choix professionnels sur la pratique du discernement est une façon d’éviter les pièges des méthodes habituelles de prise de décision et ceux de la subjectivité non contrôlée.

 

Les pratiques du discernement, exposées ici, invitent à clarifier la finalité de son rôle professionnel ou la finalité pour son entreprise. Cette finalité permet d’acquérir davantage de liberté d’action dans le processus de décision. C’est le premier choix qui sert de référence pour orienter les autres décisions.

 

La finalité exerce aussi une autre fonction que celle de point de mire. Elle est une sorte de conseiller interne qui, chaque fois, invite le décideur à mettre davantage en cohérence ses choix et ses engagements.

 

b. Les différentes formes d’application du discernement professionnel

Cette pratique de la décision est utile sous trois aspects :

- La décision individuelle et les choix de carrière
- Le leadership (la décision collective des équipes dirigeantes)
- La stratégie d’entreprise

 

2. Deux niveaux de discernement

 

a. Le premier choix : celui de la finalité professionnelle

Le premier travail de discernement consiste à identifier la finalité de son rôle. Deux approches parallèles donnent l’occasion de porter un regard sur soi et un regard sur le monde professionnel, tel qu’il est.

- L’histoire personnelle et les projets du décideur : C’est en relisant son histoire personnelle, ses compétences, son potentiel et ses intentions professionnelles que se prépare dans un premier temps l’émergence d’une finalité. Souvent déjà présente, mais de façon implicite, il «suffit», pour l’identifier, de faire porter le discernement sur les facteurs qui ont jusque-là influencé le décideur et sur ceux qui comptent à l’avenir.
- Les besoins du monde professionnel tel qu’il est : le discernement se réalise parallèlement sur un autre terrain, extérieur cette fois au décideur. Il s’agit d’identifier les endroits où le monde professionnel attend une contribution significative.

 

Élucider une finalité procède donc d’un double itinéraire, l’un pour mettre à jour ce que je suis, l’autre pour clarifier ce qui peut m’attendre. C’est la rencontre de ces deux itinéraires qui permet à chacun de découvrir son rôle professionnel, c’est-à-dire la façon bien particulière de s’insérer dans la société.

Exprimé autrement, le premier niveau de discernement se structure autour de la question : « A quoi puis-je contribuer étant donné mon histoire et mon potentiel ? ». Le second niveau se trouve dans le sens donné à la question : « À quoi la société d’aujourd’hui me convie-t-elle pour exercer mon activité professionnelle ? ».

La finalité professionnelle se choisit un peu comme une élection au sens de désignation. A titre d’illustration, en 2002 à l’issue de quatre séances d’accompagnement, un manager formulait ainsi sa finalité : « Innover en créant des ruptures ».

Donner une expression précise à sa finalité ouvre à de multiples possibilités d’actions, que ce soit en entreprise ou en cabinets de conseils, dans la fonction publique, ou dans le milieu associatif. La « passion » n’est plus ce que je fais comme étant une fin en soi, un objectif à court terme. Elle est plus vitale. C’est la « passion » de contribuer à quelque chose qui dépasse largement ce que je fais déjà. Ainsi la finalité questionne ma façon d’agir.

 

b. Les autres choix, ou comment affronter les décisions quotidiennes

La première décision qui consiste à choisir une seule finalité professionnelle rend les autres décisions beaucoup plus faciles. Les choix quotidiens deviennent ainsi de « simples » moyens d’action que le décideur met au service de sa finalité. Le discernement de la préférence à accorder à certains moyens d’action plus qu’à d’autres réduit le risque de tomber dans certaines erreurs de jugement.

 

Le processus de décision se divise en quatre étapes pour insérer différentes attitudes de discernement :

1. Poser correctement la question du choix
2. Se rendre libre, c’est-à-dire disponible, ou relativement neutre a priori face aux choix,
3. Repérer quel temps de délibération s’impose : l’évidence, la relecture des scénarios ou le poids des arguments.
4. Choisir parmi les options celle qui répond davantage à la finalité et aux buts visés
5. Confirmer le choix.

Choisir revient soit à préférer un moyen plus qu’un autre, soit à accepter une proposition ou au contraire à la décliner. La finalité et les buts poursuivis indiquent les choix qu’il convient de faire. Le critère de discernement se porte sur le degré de contribution des options possible au regard de la finalité professionnelle. Il indique au décideur comment il peut agir et réagir, augmentant ainsi sa liberté d’action et petit à petit la confiance de son entourage. Ce souci de la meilleure contribution possible à la finalité n’est pas celui de la seule efficacité. Il est aussi et surtout celui de l’ajustement à la situation du moment et aux autres, tels qui nous apparaissent.

Confirmer le choix de l’option retenue est une étape essentielle. Cette confirmation suppose de mobiliser notamment ses plus proches conseillers.

Cette segmentation de la décision en quatre étapes évite les limites des méthodes classiques de prise de décision et rend plus facile l’observation des pièges possibles. Le travail de discernement interroge ici la pertinence des moyens à mettre en œuvre.

 

 

3. Deux matières à discerner : les événements et les pensées qui nous traversent

 

Dans le choix d’une finalité professionnelle ou pour affronter ensuite n’importe quelle décision, le travail de discernement se porte non seulement sur la valeur à accorder aux événements, mais aussi et surtout sur l’origine des pensées qui nous traversent :
- Les évènements ont des significations différentes au regard d’une finalité professionnelle.
- Les pensées sont fiables ou rusées au regard de la finalité professionnelle. Certaines idées proviennent de la volonté de contribuer toujours plus à la finalité, d’autres suggestions intérieures nous invitent à préférer la satisfaction du court terme et le plaisir immédiat de l’action facile. Le discernement des pensées consiste à rechercher en soi une réponse intérieure, non déterminée a priori.

 

 

4. Les limites et les risques du discernement professionnel

 

Néanmoins cette approche de la décision véritable posture de discernement à découvrir et mettre en œuvre comporte elle aussi des limites et des risques :
- L’attitude de discernement ne sera pas aisée pour tous, car elle suppose de vouloir porter un regard approfondi sur soi.
- Elle n’est jamais définitivement acquise, car le décideur qui progresse dans cette pratique du discernement n’a jamais fini de découvrir qu’il tombe, malgré tout, dans des erreurs qu’il aurait pu débusquer.
- Elle n’évite pas la tentation qui peut tous nous traverser : l’illusion d’adopter une attitude de discernement pour justifier certains choix, alors que nous sommes restés à la surface des choses et du processus.

Au-delà de la formation au discernement individuel et collectif, cette approche de la décision ne peut se développer que si des lieux d’échanges et de rencontres sont possibles pour vérifier sa pratique

 

Cf. Laurent Falque, Bernard Bougon, Pratiques de la décision – développer ses capacités de discernement, Dunod 2009