La colère est une courte folie", en économie aussi
Une étude de neuroéconomistes démontre que les humains, après réflexion, peuvent revenir sur une décision prise sous le coup de la colère.
La colère est mauvaise conseillère. Les neuroéconomistes, qui étudient l’influence des émotions sur les décisions, ont déjà amplement quantifié ce phénomène à l’origine de choix financièrement aberrants. Mais la colère étant passagère, les humains sont-ils capables de revenir sur leur décision, une fois la sérénité retrouvée ?
Plusieurs économistes, dont on ne sait s’ils sont ou non soupe au lait, ont étudié la question. Jörg Oechssler et Andreas Roider, de l’université d’Heidelberg et du Centre for Economic Policy Research (CEPR), et Patrick Schmitz, de l’université de Cologne, ont soumis 1 250 personnes au “jeu de l’ultimatum”, un exercice bien connu des neuroéconomistes : ils ont dit à un quart d’entre eux qu’ils avaient gagné 10 euros, mais qu’ils devaient les partager avec une autre personne d’un autre quart de l’échantillon, sélectionnée au hasard ; le partage pouvait être à leur choix sur la base 5-5 (je garde 5 euros, j’en donne 5) ou 8-2 (je garde 8 euros, j’en donne 2). La somme ne leur revenait que si l’autre personne acceptait le partage proposé.
Parallèlement, une variante de ce jeu était menée avec les deux autres quarts de l’échantillon, qui ne recevaient non plus 10 euros, mais dix billets de tombola, sachant que, sur l’ensemble des billets en circulation, six étaient gagnants, et donnaient chacun droit à 500 euros.
Comme d’autres auteurs l’ont déjà montré, un nombre important (42,55 %) de personnes, à qui était proposé de recevoir 2 euros, ont refusé l’offre, la trouvant injuste, inéquitable, avec des explications du type : “Il a voulu m’avoir ; tant pis pour lui ; c’est moi qui vais l’avoir !” Conséquence, l’offreur et le receveur sont tous les deux perdants, ce qui est économiquement irrationnel, mais apparemment humain.
Une moindre proportion (27,68 %) de ceux ayant reçu l’offre de deux billets de tombola l’ont refusée. Ce qui prouve que les gens sont moins nombreux à suivre leurs émotions quand le gain potentiel est plus important.
En revanche, dans les deux cas de figure, gain en euros ou en billets de tombola, les personnes à qui étaient proposés 5 euros les ont presque toutes acceptés.
La même question a été à nouveau posée, 24 heures plus tard (et, on l’imagine, après une bonne nuit de sommeil), aux personnes destinataires de l’offre. Un certain nombre d’entre elles sont revenues sur leur décision. Elles n’étaient plus que 39,36 % à refuser l’offre en euros. “La colère est une courte folie”, rappellent les auteurs, citant Horace.
Tandis que ceux à qui étaient proposés des billets de tombola ont été encore plus nombreux à changer d’avis. Ils n’étaient plus que 20,54 % à les refuser. “Deux billets valent mieux que rien du tout” ont-ils fini par se dire.
En conclusion, les humains, êtres doués de raison, savent aussi changer d’avis et faire prévaloir leur intelligence sur leurs émotions, à condition que l’enjeu soit à la hauteur. Pour s’arroger la plus grande part du gâteau, mieux vaut le choisir le plus grand possible ! A prendre ou à laisser.
Annie Kahn
Le Monde, 05 janvier 2009
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